"Pour en finir avec le mépris du corps"

un article signé Richard Meyer, médecin psychiatre

paru dans le journal Le Monde du 22.08.09

 

"Dans Le Monde du 19 août, le texte de Robert Redeker intitulé "Le nouveau corps de l'homme entre sport, publicité et pornographie" se situe dans la continuité d'un ensemble d'écrits, livres, articles qui s'étonnent de l'irruption du corps dans notre société, de l'avènement du corps chez nos concitoyens, du mésusage de son image par nos publicitaires, commerciaux et autres vidéastes.

 

Philosophes, sociologues, intellectuels publics et médiatiques et même psychanalystes n'ont que mépris pour ce corps, bien avant la déclaration de Redeker qui ne voit le corps qu'"entre sport, publicité, pornographie" et qui nous annonce que "la pensée et le moi se dissolvent dans le corps en un "egobody" moderne".

 

Je regarde, quant à moi, le Tour de France et les Mondiaux d'athlétisme de Berlin mais beaucoup moins les deux autres lieux (cités par l'auteur) de stupre et de lucre. Trop de monde ne voit dans cette soi-disant mode du corps, que Redeker abhorre, que les abus : tatouages, piercings, trop de voile, pas assez de toile sur ce sein que je ne saurais voir. Redeker appelle Michel Foucault à la rescousse : "Mon corps, ce papier, ce feu." Et finalement c'est la médecine qui trinque. "La médecine est devenue un pouvoir ayant ravi à la religion la propriété du corps des hommes."

 

Je suis médecin. Je vois tout le progrès que réalise le Viagra pour les hommes impuissants ("(...) les mirages du Viagra"). Ancien spécialiste des transsexuels, j'ai partagé le bonheur de l'alignement du corps sur la conviction d'appartenance à l'autre genre.

 

Je suis psychiatre et je connais l'importance du corps dans la maladie mentale, l'importance des médicaments psychotropes qui agissent par le truchement de la biologie. Il n'y a plus que les psychanalystes purs et durs pour le méconnaître.

 

Je suis psychothérapeute et j'ai participé, il y a trente ans, à la formidable explosion des thérapies psycho-corporelles que j'ai appelées "somatothérapies" selon la classique construction des termes scientifiques en bon grec.

 

LE TIERS ORPHELIN

 

Je suis même "somatanalyste", puisque j'ai créé cette intégration du corporel à la psychanalyse, et j'ai formé près d'un millier de professionnels européens aux somatothérapies et à la somatanalyse.

 

Et voici que nos politiciens s'y mettent aussi, réglementant le titre de "psycho" thérapeute en le réservant aux "psycho" logues et médecins, principalement "psych" iatres, comme s'il n'y avait que du "psy" dans la maladie et du "psycho" dans la thérapie. Voilà bien le fondement de la méprise. Le corps n'a jamais eu sa place dans la globalité de l'être. Et pourtant nous, les humains, sommes constitués de trois tiers : psycho - l'esprit, somato - le corps et socio - le relationnel. C'est en France que Philippe Pinel (1745-1826) a introduit le traitement moderne. Même s'il s'est appelé "traitement moral", c'était "au corps". Il n'est que justice si le corps advient enfin, lui, le tiers orphelin, le tiers manquant. Ce n'est que rattrapage du temps perdu, si les somatothérapies se mettent à se manifester actuellement.

 

Comme les futurs "psychothérapeutes", médecins et psychologues ne représenteront que 30 % à 40 % des professionnels de la psychothérapie, il restera 60 % à 70 % d'orphelins du titre. Eh bien, ils seront "psycho-somatothérapeutes" et peut-être même "psycho- et socio-somatothérapeutes". Le corps prend toute sa place à côté de l'esprit et de la relation. La (psycho-) thérapie se fera en coeur, corps et âme.

 

Il n'y a pas trop de corps. Il n'y en aurait plutôt pas assez, n'en déplaise à Robert Redeker, et la pensée et le moi ne se dissolvent pas dans le corps mais, au contraire, la pensée, le corps et la dimension relationnelle constituent ensemble le moi. Et pour ne pas rester avec un tout petit ego, on peut ajouter l'artistique, l'affectif, le spirituel et tout cela s'harmonise en Soi. Quant aux abus, il y en a partout, même chez nos banquiers, dont la psyché disjoncte. Revenons à nos racines, latines cette fois-ci : mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain).

 

Mettons-nous en corps-accord, avec coeur et conscience."